DIJON : MORT D'UN JEUNE COMÉDIEN POLONAIS
La façon dont un quotidien dijonnais a récemment rendu compte d’un effroyable fait divers en dit long sur la manière dont s’exerce aujourd’hui le journalisme. Et sur la manière dont on mesure la valeur d’un homme selon, comme disait La Fontaine, qu’il est puissant ou misérable.
Je lis donc l’article. J’apprends, en me reprenant à deux fois face à des phrases peu claires, qu’un jeune comédien polonais d’une troupe venue participer au festival Italiart, est mort en recevant sur la tête, vers minuit trente, devant le théâtre où il devait se produire, un "pilier" de 450 kg qui serait tombé sur lui après qu’il se soit appuyé sur une "chaîne" qui y correspondrait.
Rien compris, se dit le lecteur. C’est quoi, ce pilier ? Et c’est quoi cette chaîne ? C’est quel théâtre ? Et comment peut-on mourir aujourd’hui dans de telles circonstances ? Et qui est responsable ? Aucune explication du pseudo-journaliste qui enchaîne en expliquant benoîtement que le jeune polonais devait tenir le rôle principal d’un spectacle "qui se jouait avec des marionnettistes" et que, donc, ipso facto, ce spectacle ne pourrait avoir lieu puisque l’acteur était mort, vous comprenez ?
Là-dessus, quelques considérations sur le spectacle avec des propos du directeur de la salle ("c’est triste mais le spectacle continue") – et comme je le connais bien, je sais qu’il n’a pu dire cela qu’après avoir longuement évoqué la consternation qui avait dû entourer toute son équipe – et voilà l’affaire bouclée en dernière minute. Est-ce normal de mourir ainsi ? Y a-t-il une enquête de police ? Le lecteur ne le saura jamais.
Outre ce travail bâclé, qu’aucun rédacteur en chef digne de ce nom n’eut dû laisser passer en l’état, on cache l’article dans un coin de page, en minimum visible, et le tour aurait été joué si le lendemain, dans le journal, on était revenu sur le drame. Que nenni. Juste une dizaine de lignes sur le Net, cachées au fin fond de l’arborescence "faits-divers", qui en disent encore moins.
Le pire, c’est que le quotidien n’est pas seul à en faire le moins possible sur cette affaire. Rien ou à peine plus que rien sur les médias numériques, à la télévision ou à la radio, un banal fait divers, on vous dit. On a mieux à dire, de plus people, de plus croustillant, de plus vendeur. Mais la vie d’un homme, d’un jeune homme, d’un jeune comédien, et le chagrin de sa famille polonaise, ça n’a aucune importance.
Et, d’abord, le lecteur en sait assez, non ?
Michel HUVET
(Photo LBP)